L’inauguration de la Route des vins d’Alsace : notre article de 1953
Un voyage triomphal à travers le vignoble alsacien
L’inauguration de la Route des vins d’Alsace : notre article de 1953
Publié le 26/07/2023
phrasea_171928.jpg
L’inauguration de la Route des vins d’Alsace a été un jour de fête pour les vignerons alsaciens.
COLMAR – C’est dans des nuances de gris et sous les averses d’un ciel sombre qu’est apparue la nature, alors que se mettaient en mouvement les convois qui, samedi, de Marlenheim à Thann, ont inauguré l’admirable Route des vins. Malgré cela, la fête n’a pas été gâchée, et la bonne humeur a régné dans tout le terroir alsacien. C’était la définition même d’un grand jour de fête pour les viticulteurs alsaciens, qui ont participé de tout leur cœur et ont fait la démonstration de leur hospitalité bien connue. Aussi, là où le convoi n’a pas pu s’arrêter - la procession aurait sinon duré huit jours - dans les villages ornementés et pavoisés pour l’occasion, les familles de vignerons se tenaient adossées aux maisons.
CAR CET HONNEUR ÉTAIT DÛ AU PRODUIT HÉROÏQUE DE LEUR TRAVAIL,
à leur volonté, leur endurance. Toute cette manifestation, cette reconnaissance plus que méritée, l’attention portée sur le rôle primordial qu’ils jouent dans l’économie du pays, a honoré nos braves viticulteurs. Les élus, les préfets, les administrateurs, ne sont pas venus que d’Alsace. Sont venus également des représentants des ministères de l’Agriculture, du Travail, du Tourisme, ainsi que des parlementaires d’autres nations amies : des États-Unis, les ambassadeurs du Danemark et d’Irlande, de Belgique, de Suisse, de la Sarre et de nombreux autres pays, qui savent tous apprécier l’illustre produit de nos vignes.
Nous avons pris place dans une voiture, mise gracieusement à disposition par l’Office du Tourisme, et avons participé au voyage, qui nous conduisit via Thann vers Riquewihr, Ammerschwihr et Kaysersberg. Partout, nous avons vu la même image. Des villages immaculés, des maisons décorées avec goût, des drapeaux flamboyants, mais avant tout des visages souriants, des jeunes filles élégantes en tenues alsaciennes.
TOUT S’ACCORDAIT EN UNE PARFAITE SYMPHONIE.
Les vignerons peuvent être fiers de cet honneur, qui leur a été offert de mettre en avant leur travail et de le présenter en détail. Nous avons vu des rangées de vignes somptueuses. Mais également des plantations durement touchées par le gel de printemps, rappel que les agriculteurs doivent toujours compter avec les catastrophes naturelles, et ne peuvent pas se permettre le luxe d’attendre tranquillement l’année suivante. Ces vignes aussi doivent être cultivées, pour être prêtes pour la prochaine récolte.
Ce n’était pas chose aisée de faire progresser ce long convoi de voitures à travers le vignoble alsacien. Mais grâce à la préparation irréprochable et au dynamisme de la société Lesage, et avec la gendarmerie assurant la gestion du trafic, tout s’est déroulé pour le mieux et il n’y eut pas le moindre accident à reporter. Ce qui est certainement une performance. Autour du préfet du Haut-Rhin, étaient rassemblés des invités d’honneur […] ainsi que des représentants des grandes administrations, de nombreux maires et personnalités. Le sénateur-maire de Thann a évoqué brièvement l’histoire de la ville de Théobald (Saint Thiébaut est le saint patron de Thann, NDLR).
LE RÔLE DE THANN COMME TERRITOIRE TYPIQUE DU VIGNOBLE ALSACIEN
a surtout été mis en avant. Le convoi du Haut-Rhin s’est séparé à Thann. Une partie s’en est allée vers Guebwiller, Rouffach et Eguisheim, tandis que l’autre s’est dirigée vers Ammerschwihr. Le maire de Guebwiller, le président du syndicat des vignerons, le maire de Rouffach et le maire d’Eguisheim ont accueilli les convives avec des mots justes et des grands vins. Là, un excellent riesling, ici un gewurztraminer harmonieux au doux bouquet, ailleurs encore un riesling pétillant.
PARTOUT LE VIN ÉTAIT EXCELLENT,
et alors que nous sommes en train de parler de qualité des vins, nous faisons remarquer qu’à la fin de cette intéressante et longue - mais fatigante - route pleine de surprises, nous n’avons vu aucun participant enivré, si ce n’est que légèrement grisé ou malade. Preuve que le bon vin est toujours digeste, même si l’on boit exceptionnellement un petit peu plus que la quantité normale.
Ammerschwihr a proposé un discours de bienvenue par la bouche de son député-maire. La chorale a chanté un joli chœur, et la bande des JAC a joué quelques chansons dynamiques. Le sous-préfet a dû couper un large ruban tricolore tendu au travers de la rue, comme symbole de l’ouverture solennelle de la Route des vins.
Le maire a parlé à Kaysersberg, pendant que celui de Riquewihr a accueilli les visiteurs en leur rappelant que 400 ans plus tôt, une route des vins existait déjà. Elle partait du bas de la ville jusqu’à Strasbourg, où les grands vins de Riquewihr étaient exportés à travers le monde. On ne peut pas simplement traverser le village comme cela. Les invités ont visité le cœur historique, le nid de cigogne, et toutes les beautés de cette ville qui font sa renommée.
Dans une très bonne ambiance s’est poursuivie
LA RÉCEPTION À RIBEAUVILLÉ.
Les frères ménétriers, dans leur costume de mai, avec le roi des ménétriers en tête, ont occupé les escaliers d’honneur de la mairie et entonné toutes les vieilles comptines du Pfifferdaj : « Het esch Pfifferdaj ». Le maire a trouvé les bons mots pour saluer les convives et la joyeuseté de l’événement, que représente l’inauguration de la Route des vins.
LE VOYAGE S’EST FAIT TOUT AUSSI INTÉRESSANT DANS LE BAS PAYS
À Marlenheim, fief du bon roi Dagobert, qui avait un tel amour pour le vin qu’on y produit qu’il y établit ses quartiers, c’est le préfet qui a coupé le bandeau tricolore qui barrait encore la route des vins. Le maire a salué les hôtes de marque présents […].
Passant sous un arc de triomphe, à côté de maisons joliment décorées devant lesquelles se tenaient des Alsaciennes dans leur costume traditionnel, la procession a continué après le vin d’honneur vers Wangen, Traenheim, Bergbieten, Dangolsheim, Soultz-les-Bains, Avolsheim puis Molsheim, où le député-maire a rappelé dans son discours, que
LE RIESLING DE WOLXHEIMER ÉTAIT UN DES PRÉFÉRÉS DE NAPOLÉON 1er.
Les danses folkloriques du groupe traditionnel de Blaesheim ont réjoui les pèlerins, qui se sont inscrits au livre d’or de la ville. Les stations suivantes ont été Rosheim, Boersch, puis Obernai. Le maire a reçu les invités. Même le Hans im Schnokenloch (« Jean du trou aux moustiques » d’une chanson populaire alsacienne, NDLR) était de la partie. Il a refusé de manière honteuse des plats présentés par de jeunes femmes alsaciennes.
À Barr, c’est le maire qui s’est réjoui de pouvoir accueillir les hôtes. Le rez-de-chaussée de la mairie a été transformé en magnifique salle de réception, et s’est est très bien prêté à l’occasion. La chorale de Guebwiller a entonné des chansons de vignerons. Après le vin d’honneur, le parcours a repris vers Andlau, où le maire, ancien député, a réceptionné le groupe.
On a pu lire cette inscription à Itterswiller :
« BUVEZ LE VIN D’ALSACE, LE SANG DE LA NOUVELLE EUROPE »
Le maire a invité à une dégustation des fameux grands crus de Dambach. Le convoi s’est ensuite arrêté devant la vieille gare de Scherwiller, qui venait d’être restaurée.
De Châtenois, Kintzheim, Orschwiller vers Saint-Hippolyte, et de Bergheim et Ribeauvillé : c’est ainsi que les deux convois, de la haute et de la basse Alsace, se sont rejoints.
Magnifique a été
LE VOYAGE A TRAVERS LE VIGNOBLE
Depuis Ribeauvillé et Niedermorschwihr vers les Trois-Epis, où les invités sont arrivés avec deux heures de retard. Le banquet a été malgré tout servi sans attente et efficacement, et rien n’a perturbé les sommeliers, hôteliers, cuisiniers et autres personnels, qui ont fait comme si le retard avait été prévu. C’était vraiment excellent, le service ne mérite que des louanges, la cuisine était grande et les vins merveilleux. C’était la démonstration de l’excellence de l’art de la cuisine alsacienne et de la qualité des vins et alcools de la région, qui n’avaient pas le droit à l’erreur.
Il y a eu
BEAUCOUP DE DISCOURS TENUS,
et il nous est bien sûr impossible de tous les retranscrire ici. Remarquable était celui de Pierre Pflimlin, dont le propos principal a été que l’inauguration de la Route des vins instituait l’hommage rendu à l’acharnement et l’endurance des viticulteurs alsaciens, dont il a célébré la renommée, en appelant aux souvenirs historiques et au rôle des produits du terroir, en particulier du vin. Mais ce discours s’est appuyé aussi sur un vœu, celui d’un bien-être pérenne des viticulteurs. Un vœu selon lequel la pensée d’une Europe unie s’impose, où la paix fleurira dans toutes les patries bénies dans lesquelles nous pourrons nous réjouir de tout ce que Dieu fait advenir. Son discours plein d’esprit s’est conclu par les louanges des vins alsaciens, qui, grâce à la Route des vins, se sont ouverts à de nouvelles perspectives. […]
L’ALSACE EST RICHE DE LA BEAUTÉ DE SES PAYSAGES
et de ses points de vue, il se justifie donc d’en recommander la visite. Les représentants des autres pays, les ambassadeurs Irlandais, Danois, Suisses, Belges et Sarrois ont chanté les louanges du vin alsacien, qui symbolise si bien ce beau pays au pied des Vosges.
La dernière visite a été celle
DE L’EMBLÉMATIQUE BRAND À TURCKHEIM,
où le maire a accueilli les convives dans la salle des fêtes de l’hôtel des Vosges, après que le groupe folklorique de Muhlbach a animé la place du marché avec ses danses. Même les gardes de nuit avec leurs hallebardes et lanternes étaient présents, mais ils n’ont pas attiré plus les regards que les beaux costumes alsaciens. Les pinots et gewurztraminer, qui étaient proposés, se sont montrés dignes de la patrie du Brand.
À Colmar, le maire a accueilli les participants à son tour dans le vieux marché couvert historique. Il a trouvé les mots pour reconnaître et remercier ceux qui ont participé à concrétiser l’idée de la Route des vins et ainsi offert de nouvelles possibilités aux vignerons.
La fin de la manifestation a vu
LA SESSION DE LA CONFRÉRIE SAINT-ÉTIENNE,
dont le grand conseil est apparu pour la première fois en « uniforme » (manteau rouge et chapeau en pointe !). Le confrère receveur et le grand maître ont fait les honneurs. Différentes personnalités ont été nommées confrères d’honneur […]. On leur a offert un tour de cou bleu avec une logela (un petit tonneau de bois, NDLR) miniature. […] Des groupes traditionnels ont dansé sur la place du marché couvert. La journée était festive, comme elle se devait de l’être.
La Route des vins est maintenant une chose établie. Elle court le long du superbe vignoble alsacien. Espérons qu’elle offre réellement de nouvelles possibilités pour nos vignerons, et que leur initiative louable rencontre le succès qu’elle mérite. Que tous les bons vœux qui ont été formulés en ce jour se réalisent, et que la prospérité de générations de vignerons s’enracine et fleurisse !
Coup d’œil dans nos archives
En 1953, le Paysan du Haut-Rhin n’a pas 10 ans. À cette époque, les journaux ne sont pas épais, mais les colonnes et les écritures serrées, les illustrations absentes à l’exception de quelques publicités. D’un article à l’autre, les langues françaises et allemandes alternent. En effet, une large partie de la population locale s’exprime en allemand jusque dans les années 1950. Mais la presse intégralement en allemand est interdite et la presse bilingue doit comporter 25 % de textes français. À l’occasion du 70e anniversaire de la Route des vins, nous vous proposons une traduction de l’article paru le 7 juin 1953 dans le Paysan du Haut-Rhin.