Cultures

Le Point Vert Eichinger à Hochstatt et à Didenheim

« Il faut éviter un désastre économique »

Publié le 06/04/2020 | par Jean-Michel Hell

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Âgé aujourd’hui de 70 ans, André Eichinger s’occupe de l’entreprise familiale depuis 1970. À l’heure de son départ à la retraite, il vit une crise inédite à un tel niveau de gravité.
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Katia Eichinger compte sur le mois de mai pour sauver son année. Dans les serres, la production se poursuit. 
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La famille Eichinger espère pouvoir ouvrir son local de 300 m² pour limiter l'impact économique.
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Dans les serres, la production se poursuit.
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Même en effectif réduit, le personnel reste mobilisé pour la continuité de l'entreprise.
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La situation sanitaire conjuguée à l’éventuel prolongement d’interdiction d’ouverture de son magasin de vente est une véritable catastrophe économique pour la famille Eichinger à Hochstatt. Heureusement, mercredi 1er avril 2020, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances Agnès Pannier-Runacher a annoncé l’autorisation, pour les horticulteurs, de commercialiser leurs plants potagers, considérés comme un achat de première nécessité. Reste à voir comment cela se mettra en place.

Dans les serres chauffées du Point Vert à Hochstatt et à Didenheim, les fleurs poussent et les parfums printaniers sont très agréables. Le personnel est pourtant inquiet. À quelques jours de la pleine saison, l’entreprise ne sait pas encore si elle pourra vendre sa production. La faute au Covid-19 et à l’interdiction d’ouverture prononcée par les autorités. « C’est un coup dur. Nous sommes fermés depuis le début du confinement. La première journée était précisément un dimanche où, généralement, nous accueillons beaucoup de clients sur notre point de vente à Hochstatt pour la fleuristerie. Depuis, tout ce qu’on produit, on est contraint de le jeter », constate, amer, André Eichinger. Âgé aujourd’hui de 70 ans, il a repris l’entreprise familiale avec ses deux frères, Jean-Jacques et Paul, en 1970 à la suite de leur père qui avait créé l’exploitation à la sortie de la Seconde Guerre mondiale.

 

 

Depuis, cette entreprise, 100 % familiale, a connu une belle croissance. Elle est scindée en deux parties. Une première en EARL qui s’occupe d’une grosse partie de la production, à Didenheim, et une SARL qui s’intéresse plus spécifiquement à la vente, à Hochstatt. « Ce fonctionnement change actuellement. Je suis le co-gérant avec ma nièce, Katia. C’est elle qui va diriger l’entreprise et la transformer en SCEA. Moi, à mon âge, j’ai le droit de lever de pied », ajoute André Eichinger. Il reste cependant passionné par son métier et vit au rythme des saisons. « Nous avions terminé l’année 2019 avec les ventes de poinsettia Étoile de Noël. Puis, nous avons réalisé la plantation des primevères, des myosotis, des pâquerettes ou encore des pensées. Depuis la mi-février, nous étions dans les replants de salades et de choux pour le potager. Et, là, il devrait maintenant y avoir la grosse partie de notre chiffre d’affaires avec, notamment, le géranium et toutes les fleurs que l’on peut mettre aux balcons. »

Les charges sont là

Depuis le début du confinement, le Point Vert a dû détruire 20 000 primevères, 5 000 pâquerettes, 5 000 myosotis et 15 000 pensées qui ont fini au compost, soit déjà 40 000 euros de perte ! Dans le même temps, l’entreprise doit continuer à faire face à ses charges. Une partie de la vingtaine de salariés travaille toujours. Il faut entretenir et chauffer les serres : 2 500 m² à Didenheim et 2 500 m² à Hochstatt dans la jardinerie. Il faut arroser, mettre des engrais, planter et, surtout, retarder la croissance des fleurs. « Nous les coupons et nous les confinons au froid, pour les géraniums, de l’ordre de 10 à 12 degrés au lieu des 16 habituels. Tout cela alors que la grosse période d’activité doit arriver avec les fêtes de Pâques, le printemps, le mois de mai. Il reste également 20 000 plantes à livrer. Nous avons un gros client sur Troyes et d’autres dans l’ensemble du Grand Est », conclut André Eichinger.

À Hochstatt, dans le local de vente, Katia Eichinger ne cache pas son inquiétude. « Toute la partie concernant la vente est en « stand-by » et la partie production est au ralenti. Nous travaillons avec le monde du vivant. Outre la production qui a déjà été jetée, nous avons également donné à des maraîchers 11 000 replants de salades et 8 000 choux. Ils ne pouvaient plus attendre. Dans quelques jours, ils seront trop grands. Nous semons actuellement la série 5 sachant que les 3 et 4 n’ont pas été semées. Là encore, cela fait mal. Nous ne pouvons pas nous arrêter. On peut simplement tenter de minimiser les frais », assure Katia Eichinger.

Elle voit arriver avec une certaine anxiété le mois de mai. Il représente un tiers du chiffre d’affaires de l’entreprise. 60 % avec les mois de mars et d’avril. « Nous devons obligatoirement faire un bon mois de mai pour survivre », lance la professionnelle. Pour y parvenir, elle est mobilisée avec le groupement des producteurs horticoles. Elle espérait beaucoup de la réunion nationale qui devait se tenir à Paris mardi. Une partie de la jardinerie a été réaménagée, soit 300 m². « Il y aurait un circuit qui permettrait de respecter les distances de sécurité nécessaires. Les clients pourraient acheter les petits fruits, les pommes de terre, les replants et quelques fleurs. Si nous n’obtenons pas cette autorisation, nous avons également proposé de faire un drive par l’arrière avec des commandes préalables sur Internet. Ces solutions sont une grande espérance pour nous. Nous voulons ouvrir pour continuer à vivre », poursuit Katia Eichinger.

En attendant, elle se consacre au rangement des décorations de Pâques que les clients ne verront pas, compte tenu de la situation. Elle continue également à répondre aux appels. De nombreux clients souhaitent venir au Point Vert. À chaque fois, elle doit leur donner la même réponse : « Nous n’avons pas encore d’autorisation pour vous recevoir et vous n’avez pas le droit de vous déplacer… »

 

A lire aussi : Une filière en grand danger, sur le site de L'Est agricole et viticole, et sur le site du Paysan du Haut-Rhin.

Une filière organisée, mais fragile

Depuis le début de la crise sanitaire, Paul-André Keller, président de l'union des pépiniéristes et des horticulteurs de la région Alsace (UPHORAL), suit l'évolution de la situation qui survient au pire moment de l'année pour la filière.

Les réunions téléphoniques se succèdent depuis trois semaines. Que ce soit avec la fédération nationale des producteurs de l’horticulture (FNPHP) ou avec les producteurs de la région, il faut recenser les difficultés rencontrées par les entreprises, expliquer l’évolution de la crise, préparer des dossiers pour se faire entendre des autorités nationales et préparer la sortie du confinement. « Les échanges sont très nombreux. Les producteurs sont inquiets pour leurs entreprises. Ils sont également agacés par certaines décisions.

Comme celle laissant la possibilité aux entreprises proposant des produits pour les animaux de pouvoir ouvrir leurs magasins ou de mettre en place des drives. « Les horticulteurs estiment qu’il s’agit d’une véritable distorsion de concurrence. Si nous voulons bien admettre que les fleurs ne sont pas des produits essentiels en cette période de crise sanitaire, on ne peut pas dire la même chose pour les légumes, les aromatiques, les petits fruits, les plants. Nous essayons de trouver des parades. Nous pourrions également fonctionner sous forme de drive via Internet et téléphone avec paiement par carte bancaire à distance », explique Paul-André Keller.

Après être passée en Préfecture du Haut-Rhin puis de région, cette demande est arrivée à la fédération nationale, chez les parlementaires, puis sur le bureau du ministre de l’Économie Bruno Le Maire. « Depuis, nous attendons des réponses claires. Cette crise arrive au pire moment de l’année. Nous comprenons parfaitement les problèmes sanitaires. Mais il faut écouter les producteurs et répondre à leur détresse. D’autant que se rajoute le problème de la main-d’œuvre avec des salariés absents sur les exploitations et une production qui arrive à maturité. Nous avons besoin de saisonniers », ajoute Paul-André Keller. Heureusement, mercredi 1er avril 2020, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances Agnès Pannier-Runacher a annoncé l’autorisation, pour les horticulteurs, de commercialiser leurs plants potagers, considérés comme un achat de première nécessité. Reste à voir comment cela se mettra en place.

Un comparatif économique

Un questionnaire a été envoyé récemment aux membres et aux non-membres de la filière, l’ensemble des horticulteurs et pépiniéristes d’Alsace, soit environ 70 entreprises. Il est demandé aux professionnels d’adresser à la fédération nationale des chiffres précis concernant la perte de leur chiffre d’affaires en production de ces dernières semaines. « Dans cette enquête, on se base sur une première période qui va du 16 mars au 30 avril. On leur demande d’évaluer leur chiffre d’affaires sur une moyenne de trois années : 2019, 2018 et 2017. Ensuite, on leur demande la même chose pour le mois de mai et pour le mois de juin. Ce comparatif doit permettre de savoir quelles sont les pertes. Nous savons déjà que la filière devra être aidée. Sinon, des producteurs ne se relèveront pas économiquement », estime Paul-André Keller.

Les horticulteurs et pépiniéristes espèrent que la situation va se décanter au cours de ce mois d’avril pour « sauver » celui de mai. « Cette crise sanitaire a comme seul mérite de nous remettre les pieds sur terre. Nous ne sommes pas grand-chose par rapport à la nature. L’évolution de la société a été tellement rapide ces dernières décennies or on se rend compte aujourd’hui qu’un virus peut tout remettre en question, partout », conclut Paul-André Keller.

 

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