Initiatives à Ammerschwihr
Sourires et produits frais à domicile
Initiatives à Ammerschwihr
Publié le 12/04/2020 | par Nicolas Bernard
Depuis le 2 avril, des producteurs livrent des paniers de légumes ou de produits laitiers aux habitants d’Ammerschwihr, directement chez eux ou sur la place de la mairie. Une manière d’entretenir le lien social et économique entre agriculteurs et consommateurs contraints de s’adapter à la fermeture des marchés de plein air.
Si tu ne peux pas aller chez le producteur, le producteur viendra à toi. Avec la fermeture des marchés de plein air et les mesures de confinement liées à l’épidémie de Covid-19, l’achat de produits frais, locaux et de saison, est devenu bien plus compliqué, notamment pour les personnes âgées, plus exposées à la dangerosité du virus. Pour cette catégorie de la population, la situation est d’autant plus problématique que ces rendez-vous quotidiens ou hebdomadaires avec le « petit producteur du coin » sont autant d’opportunités de maintenir un lien social avec le monde extérieur. En face, tous ces clients accueillis avec le sourire, très souvent par leurs prénoms, sont indispensables à ces agricultrices et agriculteurs qui ont fait le choix de la vente directe comme mode de commercialisation.
Quand ce contact, si facile et spontané il y a encore un mois, disparaît du jour au lendemain, il y a urgence à réagir pour ne laisser aucun acteur sur le bord de la route. C’est ce qui a incité l’équipe municipale d’Ammerschwihr à solliciter des producteurs habituellement présents aux Estivales - des soirées conviviales et festives qui ont lieu chaque jeudi soir sur la place du village durant l’été - pour mettre en place un système de commande de légumes et de produits laitiers avec une livraison chez l’habitant ou via un point de retrait, en face de la boulangerie. Le maire fraîchement réélu, Patrick Reinstettel, explique comment est né ce projet : « Les marchés du secteur ont été interdits. Une situation compliquée pour pas mal de nos habitants, notamment les plus anciens. On voulait donc mettre en œuvre une solution qui compense ce manque tout en évitant au maximum aux gens de prendre des risques pour leur santé. D’un autre côté, c’est un bon moyen pour les agriculteurs concernés de continuer à écouler leurs produits. Beaucoup de leurs débouchés habituels sont fermés. Il leur faut donc des alternatives ».
La puissance des réseaux sociaux
Pour Laurence et Dominique Bousila, cette initiative de la municipalité d’Ammerschwihr va leur permettre de payer au moins les charges fixes de leur entreprise. Ce couple de maraîchers exploite un hectare à Colmar en agriculture raisonnée. Ils font partie des producteurs présents chaque été aux Estivales de la commune et ne vivent que de la vente directe à travers les marchés environnants. Dès leur fermeture prononcée, ils ont dû trouver une solution de repli, comme de nombreux producteurs dans la même situation. C’est là que la puissance des réseaux sociaux est entrée en jeu. Tout d’abord à travers la page Facebook « Solidarité coronavirus Pays Welche » créée le 16 mars, le jour de l’annonce du confinement par le président de la République. « Des habitants de Labaroche, la commune où nous vivons, nous ont demandé si nous voulions mettre en place un système de paniers. On a commencé comme ça. Dans la semaine qui a suivi, la mairie d’Ammerschwihr nous a demandé la même chose. Tout est allé très vite ensuite », explique Laurence Bousila-Stoecklin. L’information est rapidement partagée sur Facebook et le site internet de la Cité des trois merles. Les demandes affluent de la part de clients « historiques » mais aussi de la part de « nouveaux ». Parmi eux, beaucoup de jeunes consommateurs, plus habitués et plus présents sur les réseaux sociaux.
Pour commander la procédure est simple : il faut appeler la maraîchère sur son téléphone portable et choisir son panier, à dix ou quinze euros, composé uniquement de légumes de saison de l’exploitation, complété par quelques fruits et légumes issus de l’achat-revente. La livraison se fait tous les jeudis matin, entre 9 h et midi. Le paiement, chèque ou liquide, se fait à ce moment-là. Pour respecter les mesures sanitaires en vigueur, des barrières sont mises en place pour délimiter la file d’attente, avec une entrée et une sortie séparées. Les maraîchers restent dans leur camion, équipés de gants, et livrent les sacs de provision au fur et à mesure. Avec le sourire. Chaque commande livrée est l’occasion d’échanger quelques mots, de prendre des nouvelles, ou de remercier les producteurs pour cette initiative. « C’est une réponse à la crise, souligne le maire d’Ammerschwihr. C’est important que les communes soient à l’initiative si elles en ont la possibilité. Elles ont bien souvent des moyens de diffusion de l’information que les petits producteurs ou commerçants n’ont pas. Du coup, nous utilisons le site Internet de la Ville pour faire connaître cette démarche. À titre personnel, je partage toutes ces informations sur ma page Facebook. » Cette communication « numérique » porte ses fruits.
Le « rôle social » des agriculteurs au premier plan
Lors de la première livraison de paniers organisée jeudi 2 avril, plusieurs dizaines de commandes ont été retirées. Un engouement qu’a aussi constaté Christine Chaize, productrice de fromages fermiers à Orbey et éleveuse de porcs. Elle aussi a répondu à l’appel de la mairie d’Ammerschwihr pour livrer ses produits. À la différence près qu’elle s’arrête au domicile de chacun de ses clients. Une tournée au pas de course qui l’emmène dans plusieurs communes de la vallée de Kaysersberg. Si elle faisait déjà de la livraison de viande, c’est la première fois qu’elle utilise ce mode de commercialisation pour ses fromages. « C’est plein de petites commandes. Ça prend du temps à gérer. Mais au moins, ça permet de passer un peu mieux ce cap difficile », explique-t-elle. Habituellement, ses fromages sont vendus sur des marchés, à la ferme-auberge du Rain des Chênes et à la fromagerie Saint-Nicolas, à Colmar. Sans ces débouchés, il faut maintenant « limiter la casse ». « Évidemment, la vente à domicile ne me permettra pas d’écouler les quantités habituelles. Mais au moins, cela permet de garder le contact avec le client et rester positif. Et pour eux comme pour nous, cela fait du bien de voir d’autres visages, même brièvement. Les gens sont contents qu’on passe chez eux, surtout les personnes âgées. J’ai l’impression qu’ils se rendent à nouveau compte du rôle social important que peuvent avoir les petits producteurs », témoigne Christine Chaize. Elle s’inquiète en revanche de l’impact de cette crise sanitaire sur la production laitière locale utilisée uniquement pour la fabrication de fromages fermiers. « Moi, je ne fais que la production des fromages. N’ayant qu’une apprentie à payer, j’arrive pour l’instant à tenir grâce à la trésorerie accumulée en fin d’année dernière. Mais pour mes fournisseurs, c’est évidemment plus compliqué. Certains n’ont pas d’autres débouchés. Il va falloir trouver une solution rapidement pour les soutenir », prévient-elle.
Penser à « l’après »
La question du « demain » est déjà sur toutes les lèvres car il finira bien par arriver. Dans deux semaines, dans deux mois ? À l’heure actuelle, il est compliqué de savoir quand ce confinement prendra fin. À ce moment-là, est-ce que les consommateurs qui se seront nourris grâce au « paysan du coin » garderont cette habitude ? C’est une éventualité à laquelle Laurence Bousila-Stoecklin a envie de croire fortement. Elle espère que cette mondialisation qui a fait du « tort » aux productions locales prendra un visage différent. « Cela a été une catastrophe pour beaucoup d’entre nous. En parallèle, les gens sont devenus méfiants des producteurs à cause de l’agribashing. Grâce à ce confinement et aux réseaux sociaux, nous avons une belle occasion pour communiquer. Après, il faut convaincre. C’est un travail en plus. Mais ça vaut le coup. C’est l’occasion pour notre profession de rebondir. » Surtout, il y a cette reconnaissance que ces producteurs perçoivent dans les yeux des gens quand ils livrent les paniers. Une source de « courage » qui donne du « baume au cœur » qui les fait réfléchir. « On envisage sérieusement de prolonger ce système de panier après le confinement. Habituellement, on travaille toute la semaine en attendant le marché. Après, il y a un léger coup de mou jusqu’au marché suivant. Avec ces paniers, on est stimulé tous les jours. C’est une satisfaction incroyable ! »
Une micro-brasserie à domicile
Pas de confinement pour la convivialité. Comme tous ses confrères à travers le pays, Thibault Ancel a dû fermer son bar à bières « Bisaiguë » situé à Kaysersberg. Comme toute entreprise, ce micro-brasseur installé depuis deux ans, a des charges fixes qu’il faut continuer à payer. Plutôt que de se laisser abattre, il a instauré la livraison à domicile de ses bières via Facebook, dès l’annonce du confinement.
Un petit message privé avec le détail de la commande dûment rempli dans un fichier Excel suffit. Une fois le créneau de livraison fixé, il se rend chez le client avec la satisfaction de lui apporter un peu de « légèreté » dans cette période compliquée. « Ça permet de vivoter un peu en restant chez soi, surtout avec les apéros Skype, Facetime ou WhatsApp qui se sont créés presque spontanément. »
Si les clients - dont pas mal de nouveaux qui découvrent la micro-brasserie pour la première fois - sont très heureux de pouvoir entretenir leur lien social, cette livraison à domicile permet à Thibault Ancel de compenser une partie de son chiffre d’affaires réalisé habituellement auprès des cavistes ou fermiers-aubergistes. « Avec une trentaine de commandes pour mes deux premières semaines, c’est plutôt positif. L’intérêt des gens est là. Je saurai les remercier quand tout ça sera derrière nous. La première tournée sera pour moi ! »