L’après Covid-19 pour le vignoble d’Alsace
Adapter l’offre aux variations structurelles et conjoncturelles du marché du vin
L’après Covid-19 pour le vignoble d’Alsace
Publié le 04/05/2020 | par DL
Alors que le vignoble n’a pas encore statué sur les rendements 2020, il doit aussi tirer les enseignements de l’évolution des modes de consommation durant le confinement et se préparer aux évolutions structurelles nécessaires pour que la filière continue à vivre.
Deux faits majeurs ont animé la filière des vins d’Alsace pendant la période de confinement liée à l’épidémie de Covid-19. En aval, le marché des vins a connu pendant cette période d’importants bouleversements conjoncturels. Et en amont, le débat sur la question des rendements 2020 a été animé entre les opérateurs.
Les premiers indicateurs économiques de ventes de vins pendant la période de confinement - réglementairement très favorable à la vente en GMS puisque les CHR ont été fermés - indiquent une modification profonde de l’acte de consommation du vin. D’une consommation festive et occasionnelle, le vin est soudainement redevenu un « aliment » de consommation courante au sein des familles. Une mauvaise nouvelle pour les cassandres prohibitionnistes et hygiénistes, une bonne nouvelle pour les gastronomes, les adeptes du bien vivre et du bon vivre.
Autre conséquence du confinement, les ventes d’effervescents ont chuté lourdement, tandis que les ventes de vins de consommation courante et conditionnés en grands volumes ont connu un joli succès. Du fait de la fermeture administrative des restaurants, bars à vins, cavistes, les ventes de vins haut de gamme ont été réduites à la portion congrue. Tout au plus, quelques ventes et livraisons à domicile ont-elles permis d’écouler quelques volumes, mais rien de bien significatif sur la masse globale du marché des vins.
Explosion des ventes en bag-in-box
La filière des vins d’Alsace a donc été confrontée à un bouleversement conjoncturel du marché du vin, caractérisé par l’explosion des ventes de vins en bag-in-box (BIB), et des vins d’IGP par le seul réseau de distribution qui était globalement possible : la GMS.
Dès lors, dans les rangs de la viticulture alsacienne, nombre d’acteurs militent pour une plus grande adaptabilité de la filière aux évolutions du marché du vin, appelé à devenir de plus en plus variable, incertain, soudain et exposé aux aléas économiques, sociaux, sanitaires, politiques, géopolitiques… Au premier rang desquels Pierre-Olivier Baffrey, président de Bestheim et des Caves vinicoles d’Alsace. Plus que la question prégnante des rendements 2020, il plaide pour une forme de mixité de l’offre dans l’appellation, où les différents opérateurs, évoluant sur différents marchés et différents segments, de qualité et de prix, s’acceptent, vivent en bonne intelligence, dans une filière politiquement stable. Et équitablement représentée, ajoutent de leur côté les Vignerons indépendants d’Alsace. « Ce qui compte, c’est le chiffre d’affaires global de la filière. Le prix moyen de la bouteille est un aspect. Si on organise la rareté pour augmenter le prix moyen des bouteilles, mais que cela se traduit par une baisse globale du chiffre d’affaires de la filière, ce n’est pas bon pour l’ensemble de la filière des vins d’Alsace », argumente-t-il.
Marc Rinaldi, fondateur du domaine Kirrenbourg, membre de la famille des domaines négociants en vins d’Alsace, a rédigé un mail adressé à plusieurs opérateurs de la filière, intitulé « moins mais mieux », qui explique que le problème des surstocks est en train de dégrader l’image et le prix du vin d’Alsace. Et ce, dans l’ensemble des segments de gamme. « La trilogie qualité - prix - notoriété ne doit pas s’appliquer seulement aux 10 % de la production vendue au-dessus de 8 € HT la bouteille, mais aux 60 % du volume vendu en dessous de 4 € HT la bouteille », fait-il observer.
Serge Fleischer, directeur pôle Alsace-Jura-Loire-Drôme du groupe Les grands chais de France, milite pour une mise en adéquation de l’offre des vins d’Alsace à la demande. Tant d’ailleurs au plan des volumes que des types de vins par un « assouplissement éventuel d’autres règles, comme sur les BIB, le type de contenant, leur forme », mais avec « une définition stricte du type du produit (sec, moelleux…) ». Afin que le consommateur sache ce qu’il achète.
D’autres directeurs de structures préconisent une liberté de choix individuel sur les rendements, puisqu’ils en assument les conséquences économiques au sein de leurs entreprises. Ils recommandent surtout « d’investir dans le marketing, l’innovation, le digital, l’écoresponsabilité… ».
La mixité des indications géographiques au cœur du débat
Ce débat sur les rendements avait eu lieu en novembre dernier. Il avait mis en évidence une ligne de fracture dissimulée dans le vignoble, derrière l’apparente opposition entre les adeptes de rendements libres et ceux qui demandent une diminution. En réalité, c’était la question de la mixité des indications géographiques (AOP/IGP/VSIG) au sein de la filière qui était en jeu. Car, à ce jour, il n’est plus sûr que le passage en IGP serait vécu comme un déclassement par rapport à l’AOP, avec une régression de la valeur du foncier, mais plutôt comme une liberté offerte à l’élaboration de nouveaux vins, avec de nouveaux contenants plus innovants.
Faute de réforme, le vignoble ne dispose pas pour l’heure d’un véritable plan stratégique pour développer une filière de vins contemporains, de grande buvabilité, pour la consommation courante avec une bonne valeur ajoutée, dans de nouvelles formes de conditionnement, des vins qui répondent aux nouvelles attentes sociétales : santé, environnement, accessibilité, éthique.
Le plan Alsace 2030 est en route. Mais l’horizon 2030 semble loin face à l’urgence de la réforme. À court terme, la question du blocage de la mise en marché apparaît comme une solution inéluctable, au même titre que la distillation interprofessionnelle et les mesures de rendement. Un consensus serait en train de se dessiner.
Lire aussi : Retour à la tradition de la consommation courante, le BIB grand vainqueur du confinement, sur le site de L'Est agricole et viticole, et sur le site du Paysan du Haut-Rhin.
L’évolution des rendements du vignoble depuis 1973 (voir tableau)
Le rendement moyen par période de dix ans a augmenté de 1970 à 2004, à l’exception de l’année de la canicule 2003. Parallèlement, la superficie du vignoble a augmenté également. Ensuite, de nouvelles dispositions comme les communales, les grands crus ont contribué à faire baisser le rendement global. Le rendement des vins d’Alsace a été réglementé par l’article 3, du décret du 4 septembre 1974, qui modifie l’article 5 de l’ordonnance de 1945. Ce décret impose aux vins d’Appellation d’origine Alsace de provenir de moûts présentant avant tout enrichissement, un titre alcoométrique minimum de 8,5° identique à celui du décret de 1971. Mais il fait apparaître un rendement maximum à 100 hl/ha. En invoquant le caractère aux influences germaniques de la région, la délégation alsacienne au début de l’année 1973, avait proposé une limite à 100 hl/ha. Faisant face à une levée de boucliers des membres du comité Inao, les Alsaciens facétieux, avaient su arracher l’accord du président Perronat. Ils avaient fait valoir leur histoire politique mouvementée, et les besoins d’un vignoble en pleine reconstruction. Mais la récolte pléthorique de 1973 a imposé aux mêmes négociateurs, un peu gênés, de revenir l’année suivante devant le comité pour demander des largesses complémentaires pour reclasser ce millésime exceptionnel en quantité. Par prudence, craignant certainement que cet épisode ne se reproduise, le décret a prévu le cas de dérogations individuelles pouvant être accordées par l’INAO après examen de la qualité et des conditions de production de la totalité de la récolte de l’exploitation.